Cette semaine j’interviewe Jimmy DERNONCOURT, ostéopathe et kinésithérapeute à Ath (Belgique). Jimmy est aussi cycliste et triathlète, finisher de 5 ironmans (dont 2 à Nice et autres en Autriche et en Allemagne), plusieurs 70.3 et marathons.

Il compte parmi ses patients de nombreux sportifs amateurs qui ont des pathologies variées. Certains se plaignent de douleurs dans les articulations ou dans les tendons (le tendon d’Achille est un grand classique). Pour d’autres, c’est un peu plus compliqué.

Il consulte en permanence les dernières publications sur la physiologie du sport, pour être au fait des dernières avancées dans son domaine.

J’ai voulu l’interviewer sur le sujet des étirements. Je suis sûr qu’il a plein de choses à nous apprendre sur ce sujet.

Je sens que ça va être passionnant. J’ai beaucoup de questions à lui poser.

Et notamment :

Bonjour Jimmy, et merci d’accorder cet entretien à 39×25.com. En guise de préambule, pourrais-tu nous expliquer pour quels motifs tes patients viennent te voir ?

JD : C’est relativement simple. Les sportifs qui viennent me consulter ont :

Mes abonnés m’ont justement posé de nombreuses questions à propos des étirements. Or, on entend un peu tout et son contraire à ce sujet. J’ai donc voulu me tourner vers toi pour éclairer notre lanterne.

Pour commencer, un peu de vocabulaire. On parle parfois d’étirements, parfois d’assouplissements. Y a-t-il une différence entre les deux et peux-tu nous la préciser ?

JD : Il y en a une en effet, même s’il s’agit finalement presque de la même chose.

Un étirement est destiné à allonger les muscles, au maximum de leur amplitude. On agit sur la composante contractile du muscle.

Un assouplissement vise quant à lui assouplir les amplitudes articulaires. Il permet aussi d’allonger le tissu conjonctif, élément riche en collagène qui assure la liaison entre le muscle, la peau et les autres structures (os, ligaments, tendons, etc. ). On appelle aussi ce tissu le « fascia ».

Quels sont les bénéfices des étirements ?

JD : Un étirement permet de décongestionner le muscle, il amène une détente du muscle et prépare le processus de réparation.

Durant l’exercice musculaire, le muscle appelle du sang qui va lui amener l’oxygène nécessaire à l’effort.

À la fin de notre séance, le muscle est encore chargé de ce sang, devenu pauvre en oxygène et enrichi de déchets métaboliques.

…de ‘déchets métaboliques’ ?

JD : Oui, ce sont toutes les substances provenant de nos processus métaboliques et qui ne peuvent être utilisés par l’organisme.

On parle parfois de «toxines ». Notre corps doit s’en débarrasser.

Et pour commencer, il est intéressant de favoriser le retour veineux. Les étirements sont un des moyens pour y parvenir.

Et quant aux assouplissements, quels bénéfices peut-on en attendre ?

JD Les assouplissements permettent d’améliorer l’amplitude d’une articulation.

Cette amplitude peut avoir diminué suite à une inactivité. Ou suite à un traumatisme. L’entrainement peut ici s’apparenter à un microtraumatisme.

Quel intérêt plus particulièrement pour le cycliste ?

JD :  Les étirements sont bénéfiques chez tous les sportifs.

La particularité du cycliste est de pratiquer un effort sur un temps long. Souvent durant plusieurs heures. Cet effort va créer des microlésions que le corps va réparer pour devenir plus fort, c’est le principe de surcompensation.

Lorsque les entrainements s’enchainent, il est important de pouvoir récupérer rapidement pour permettre une nouvelle sollicitation (lors d’un stage vélo ou lors d’une randonnée / d’une épreuve de plusieurs jours par exemple).

Les étirements jouent alors un rôle « d’accélérateurs » de récupération.

Quant aux assouplissements, ils vont permettre au fascia de se remobiliser, de s’hydrater, de contribuer à une bonne mobilité.

Quels muscles faut-il alors étirer en priorité ?

JD : Il faut prendre en compte que durant l’effort sur un vélo, ce sont les mêmes gestes qui sont répétés pendant des heures sur de mêmes schémas de mouvements. (qui n’a jamais ressenti de déséquilibre à la marche en descendant de son vélo ?… ).

Le mouvement du cycliste s’effectue en flexion : depuis le tronc, la hanche, le genou, la cheville.

C’est donc toute une chaine musculaire qu’il va falloir étirer.

Et notamment les muscles suivants :

Quels étirements préconises-tu ?

Voici 2 types d’étirements, pour les 2 muscles que je viens de citer.

1 – Etirement du quadriceps.

2 – Etirement du pyramidal

Comment bien réaliser ces étirements ?

JD : Pour chaque étirement, une durée de 20 secondes est un minimum.

En deçà,  on est peu ou pas efficace.  Au-delà de la minute, on n’a pas d’avantage de gain.

En termes d’intensité, il faut aller jusqu’au seuil de la douleur et s’arrêter. À partir du moment où vous ressentez la douleur de l’étirement, ne cherchez pas à aller plus loin, travaillez dans cette zone, vous êtes au bon endroit.

Le vieux principe du NO PAIN – NO GAIN est une hérésie dans les étirements : c’est valable pour l’entrainement, mais pas dans ce cas-ci.

 Et pour les assouplissements, quelles sont les zones à privilégier.

JD : Les assouplissements sont particulièrement importants pour :

La colonne. Vous avez parfois l’envie de vous redresser après quelques heures de selle ? Et bien même principe mobilisez doucement la colonne en extension en revenant doucement vers la flexion , exercice à effectuer sur le ventre.

Les ischio-jambiers. Ce groupe musculaire a davantage un caractère “proprioceptif”, c’est à dire d’ajustement de la posture en position statique débout. Il est très tendineux, avec moins de fibres musculaires que les quadriceps.

Regardez les quadriceps de Sagan par rapport à ses ischios et vous allez vite comprendre…

Pour ce groupe musculaire, les assouplissements sont à privilégier en travaillant d’une part la partie tendineuse , et d’autre part la partie « musculeuse »

La cheville, qui, sans souplesse, conduit immanquablement à un coup de pédale moins efficace.

Sur ce dernier point, de simples exercices d’assouplissement de la cheville en cherchant à ‘griffer’ le sol avec les orteils au point bas du pédalage apportent des résultats intéressants. N’oublions pas qu’il y a une synergie de mouvement entre la hanche , le genou et la cheville.

Quels exercices d’assouplissements particuliers préconises-tu pour la colonne et pour les ischio-jambiers ?

1 – Pour la colonne :

Tout d’abord, ce sont des mouvements de mobilisation de la colonne en flexion puis en extension :

2 – Pour les ischios :

Etirement de la partie tendineuse des ischios et de la chaîne postérieure

Recommandes-tu des accessoires particuliers ?

JD : Je préconise l’utilisation d’un rouleau de massage.

Faites glisser le rouleau de massage du talon vers les fesses, aller-retour. Recommencez ensuite l’exercice de l’autre côté.

Est-il pertinent de s’étirer avant un effort ?

JD : Il ne faut surtout pas s’étirer avant un effort.

On va alors anesthésier quelque peu le muscle (diminuer son seuil d’excitabilité) et on risque la blessure.

C’est justement l’inverse qu’on cherche.

Avant un effort, mieux vaut privilégier un réveil musculaire doux : rotation de bras, d’épaules, un peu de gainage, des squats, éventuellement avec des poids légers si on le souhaite, en y allant progressivement.

D’où l’intérêt d’un échauffement avant une compétition : pédaler 10 min cool avec quelques accélérations brèves vers la fin.

Les pros s’échauffent sur Home-trainer avant une épreuve contre-la-montre, ce n’est pas pour rien : ils doivent y aller à fond dès le top chrono , contrairement à une étape en peloton où l’effort peut être géré progressivement à l’abri du vent et en groupe .

Enfin, il ne faut pas oublier le haut du corps dans l’échauffement vélo, on a tendance à le délaisser.

Et après l’effort ?

JD : Après l’effort, la vigilance du système nerveux est amoindrie. On risque d’aller trop loin dans nos étirements.

Mieux vaut attendre un quart d’heure environ. Placer la séance d’étirements après la douche est donc une bonne idée.

Veiller à toujours exécuter ces étirements de manière progressive. Jusqu’au seuil de la douleur et sans dépasser ce dernier.

Les étirements permettent-ils d’éviter les courbatures ?

JD : La douleur des courbatures est due à des « microlésions » (cet aspect reste discuté toutefois). Une fois qu’elles ont été réalisées, c’est à la récupération de faire son office et de les réparer. D’où l’importance de préparer son travail avec les étirements.

Et, aussi, surtout, de bien s’hydrater.

La consommation de protéines de 15min à 1h après l’effort permet justement de maximiser cet effet de régénération musculaire . On parle de « fenêtre métabolique ». (4 heures après un exercice et avec un pic à 30 minutes, le corps assimile plus facilement les glucides et protéines).

On observe que lors d’une reprise, les courbatures peuvent être particulièrement abondantes et douloureuses. Au problème des lésions, vient se superposer un autre phénomène : le fascia qui n’a que peu travaillé dernièrement a perdu de sa souplesse. Un peu comme un ballon de baudruche  dégonflé, laissé à l’abandon, et qui devient difficile à regonfler.

Quelles sont les erreurs à éviter selon toi ?

JD : Il y 4 erreurs fréquentes :

S’étirer par à-coups. Il faut absolument proscrire les à-coups. On va alors créer une contraction réflexe (streatch réflexe), à l’opposé de ce qui est recherché. Je vois trop souvent des athlètes effectuer des mouvements rapides, style flexion rapide du tronc jambes tendues. C’est ridicule (sauf dans le cadre de l’haltérophilie, mais là c’est un autre débat).

Identifier la douleur comme qualitative. La douleur dans le cadre d’un étirement n’est pas un bon indicateur. Comme je le mentionnais, il faut aller jusqu’à son seuil et y rester, sans chercher à l’augmenter. A la sollicitation suivante ( après avoir changé de groupe musculaire)  la sollicitation suivante va permettre d’aller plus loin en amplitude .

S’étirer tout de suite après un effort. On attend au moins 15 minutes

Travailler sur un unique groupe musculaire sans se soucier du groupe antagoniste. Dans le cas du cycliste, il conviendra d’étirer le quadriceps puis d’assouplir l’ischio-jambier par exemple. L’avantage c’est qu’on tire profit de l’effet “d’inhibition croisée” : étirer le quadriceps permet d’inhiber partiellement la contraction des ischios et vice versa ça.

Jimmy, quelle conclusion voudrais-tu adresser à nos lecteurs ?

JD  :

1/ Comme dans tous les sports il faut observer de la progressivité dans l’augmentation de charge d’entrainement et écouter les signaux du corps.

2/ La douleur est un bon indicateur dans le sport. Nous devons passer au-delà de la douleur pour progresser mais, dans le cas des étirements, le seuil de la douleur est un signal d’arrêt comme je l’ai expliqué. A ce sujet, je rappelle que quand un sportif constate une douleur articulaire récurrente ce n’est pas un signal à prendre à la légère. C’est qu’il y a un dysfonctionnement biomécanique.

3/ L’étirement OUI, s’il n’est pas entrepris immédiatement après l’effort.

4/ Enfin, on donne beaucoup d’importance à « l’étirement » en post-effort mais à lui seul n’aura pas d’effets miraculeux. Pour maximiser ses effets, il faut aussi :

Merci beaucoup, Jimmy, pour toutes ces informations.

À très bientôt.

10 réponses

  1. Merci beaucoup Philippe pour ces précieux conseils, c’est vrai que personnellement je ne fais jamais aucun mouvement ni avant ni après. En tout cas, moi je ne connaissais pas les bons mouvements et étirements. Cette article est vraiment très intéressant. Je vais les mettre en pratique avec douceur. A Bientôt.

    1. Merci Claude. Moi qui suis aussi souple qu’un verre de lampe, j’ai pu constaté les bénéfices. Et même on arrive à progresser, à gagner en souplesse. Lentement certes.

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